Fouèse
octobre/novembre 2015
De l’œil à la main, il n’y a qu’un pas.
Un pas après l’autre au fil des chemins. Ce sont eux qui me conduisent de l’invisible et savoureuse magie de la terre à mes peintures.
J’ai toujours aimé sentir la roche, la toucher, observer son histoire de chair modelée par le vent, l’eau, la glace ou le feu. Lorsque je peins je revis les rythmes, la douceur et les fractures qui me touchent sitôt que je prends le temps de la présence à la nature et aux vivants.
En Islande, lors d’une itinérance sous le signe du deuil, j’ai gouté à la naissance du monde.
Nous étions quelques marcheurs dans d’immenses paysages lunaires traversés de torrents glaciaires et de sources chaudes. Au creux des sols noirs ou cendrés, des dédales de laves refroidies, l’eau – la vie – faisait sourdre de grandes coulées de fer et d’improbables mousses d’un vert presque cruel. Dans le ciel gris, balayé de tempêtes et d’éclaircies soudaines, les oies sauvages criaient et tournoyaient pour se rassembler avant la grande migration d’automne. J’ai ramené dans mes poches quelques cailloux, éclats d’obsidienne ou pierres ponces, et des images plein le cœur.
Il m’a fallu dix ans pour que l’émotion s’apaise, dix ans pour que le corps oublie le chagrin et la fatigue, dix ans avant de livrer les paysages intérieurs qui demeurent de ce voyage.
Certaines peintures sont au plus près de ce que j’ai vu de l’Islande, comme si je pouvais encore soulever la poussière de cendre, boire au ruisseau ou m’étourdir d’espace. D’autres parlent de notre itinéraire avec les éblouissements du chemin et l’inévitable part d’oubli ; bien plus qu’une « terre vue du ciel » ces topographies retracent mon parcours intérieur transformé par la mémoire, le temps et mes pinceaux.
Du rêve à la main, la poésie s’emmêle.
C’est dans l’entre deux du matin que mûrissent mes peintures. Chacune de ces peintures est une aventure qui nécessite ce léger flottement de la rêverie du matin, une douce errance de l’esprit. J’ignore où je vais mais il existe un équilibre à trouver pour qu’un monde entier s’invite comme dans une enluminure ou une scène des « riches heures du Duc de Berrry ».
Une histoire est toujours présente. Parfois elle préexiste à la peinture lorsque je pars de quelques strophes d’un long poème, d’un haïku ou d’un RIPnd – ritournelle d’itération peinte. D’autres fois la peinture nait d’abord d’une image, de lignes ou de contrastes qui m’attirent - peu importe la source – et l’histoire nait au fur et à mesure des jeux de glacis, de collages ou de superpositions. Ainsi dans le livre peint « la cavale de l‘astronome » ou dans les « trois petites topographies du désir » le texte est entré en résonnance au fur et à mesure que les peintures émergeaient.
J’aime explorer différentes techniques et il m’a souvent été fait le reproche d’une trop grande diversité. Or toutes ces approches sont pour moi complémentaires. Elles sont pour moi le moyen de revenir par courbes successives toujours au même sujet pour tenter d’atteindre l’unité.
Les encres obligent à l’essentiel.
L’acrylique me donne la densité, les traces d’histoires de la terre ou le plaisir de jouer à superposer, à coller des papiers déchirés ou des fragments de palette. Quant aux suspensions elles me permettent de sortir du cadre ; je transpose et recompose les images déjà passées par le filtre de mon regard et mes pinceaux.
J’ai désormais résolument pris le parti d’adopter cette pluralité de techniques. Elles me permettent d’être à l’aise à la fois dans le réel et l’imaginaire, de prendre des chemins détournés pour peindre les rochers surgis de nos rêves.
Fouèse août 2015