Jean-Louis Bernard
mars/mai 2015
Les corps du déchet
(texte extrait du catalogue) Jean-Louis Bernard
Mon travail a débuté il y a longtemps avec des bouts de bois: je ramassais des morceaux que j'assemblais ensuite dans des tiroirs. Ils avaient tous un point commun, je les choisissais en fonction des traces, des cicatrices qu'ils présentaient, il leur fallait un passé, une histoire.
J'ai gardé de ces débuts le goût des matériaux de rebut. Je ramasse des objets dont plus personne n'a l'usage, dans la rue, les chantiers de démolition, les décharges. Je ne ramasse pas tout. Je choisis. Je ne prends que les objets dont je tombe amoureux, pour leur forme, leur couleur, leur poids de souvenir. Tous ils ont servi, ils sont usés, griffés.
Mon atelier ne ressemble pas à une décharge, c'est plutôt un grenier.
Mais je ne suis pas un collectionneur. Ce que je recherche ne se satisfait pas d'une simple accumulation d'objets. J'ai besoin de ces objets. Ce sont toujours eux qui sont au point de départ d'une sculpture. Je ne fais pas de dessin, je ne rêve pas, tel le facteur Cheval, d'un palais qui, réalisé une première fois dans mon sommeil, prendra une seconde fois vie dans la réalité. Je n'ai pas de page blanche : j'ai des centaines d'objets qui sont là, et qui m'attendent.
Je leur suis soumis. Lorsque je les ai choisi, ce n'est pas en anticipant sur leur destination future : c'est d'abord pour le plaisir d'être avec eux. Ce qui m'intéresse est plus de l'ordre d'un travail d'archéologue : il s'agit de capter des traces d'histoires enfouies, de solliciter la mémoire des objets. Lorsque la sculpture commence, il s'agit donc de reconstruire une histoire. Mais il n'y a là aucune tentative rationnelle et structurée: la mémoire qui est mobilisée est beaucoup plus celle que sollicite le rêve : il se joue devant moi une histoire qui est la mienne, mais j'en ignore le plus souvent le sens. Mon travail consiste à laisser la plus grande liberté à ce qui doit surgir, à abolir tout projet sur la sculpture en train de se faire.
Les matériaux que je recueille servent alors d'appeaux : ils sont chargés d'une histoire, d'une émotion auxquelles viennent se prendre mes histoires et mes émotions. Ils me servent à exhumer les images dont je suis fait, leur donner une consistance, les fixer momentanément.
Ce ne sont pas des déchets, ce sont des reliques...